Jeanine RIVAIS. Critique d’Art et artiste

 

 

Les portraits de Bernard Thomas-Roudeix
Par Jeanine RIVAIS

Des études aux Beaux-arts, la restauration de monuments historiques, la dépose de peintures murales... autant d'éléments qui, pendant longtemps, ont entraîné Thomas-Roudeix vers une expression picturale très structurée. Chaissac, Dubuffet, venus contrebalancer ces tiraillements passéistes. Cobra, Mai 68, l'ombre de Bacon et les expressionnistes qui lui ont «appris» à se libérer ; résoudre ses questionnements en s'exprimant de manière directe et spontanée ; évoluer dans son travail en changeant de mentalité ; faire se rejoindre -enfin- des idées opposées dans lesquelles il se sente à l'aise.

Telle a été la longue liste de problèmes qu'a dû résoudre l'artiste avant d'en venir à son oeuvre actuelle, plutôt figurative sans être réaliste ni anecdotique ; mais sans rejeter l'abstrait ; très personnelle en tous cas, et bien installée dans l'esprit de son époque ! Une oeuvre où, à force de fouir, Thomas-Roudeix a fini par gagner le «centre» géographique de la toile, et y «installer» ses «portraits» ! Figures étranges et terribles presque toujours chauves et amputées de l'oeil gauche, de la moitié gauche du visage réduite au point d'interrogation inversé d'une larme, ou peinte en creux de couleurs sombres d'où émergent de possibles chemins menant à de fantomatiques maisons minuscules, situées sur l'un des horizons qui linéarisent chaque toile.

Cette négation d'un demi- visage s'oppose à la lente élaboration de l'autre, fait de lourds empâtements pellucides ; évoquant des épidermes atrophiés ou des viscères empilés ; griffés de longues stries transversales ; peints de pommettes barrées de toute une insensée géométrie d'où s'échappe un escalier montant vers le cerveau... De là, part forcément une spirale gribouillée d'un geste rageur impliquant la transgression, la tentation d'échapper à ses limites car chaque visage est strictement inscrit dans un cadre ! Carte d'identité ? Téléviseur ? Ou simplement chevelure rigide ? Quel qu'en soit le sens, ce cerne épais et monochrome renforce par sa cohérence et sa banalité, l'intention de l'artiste de restaurer un équilibre ; mais amplifie par contraste l'anomalie du visage, le manichéisme de la dualité ombre/lumière, la connotation malsaine de ce faciès tordu, la restriction absolue de l'espace qui lui est dévolu par rapport à l'immensité de la toile.

Seul dépasse du cadre le cou, oblique par rapport à la tête, et émergeant du vêtement sombre, comme un moignon qui se retournerait pour clore la bouche de travers ou pincer le nez crochu !

Le reste du corps de cette sorte de Golem inachevé se résorbe dans les couleurs du fond ! Car chez Thomas-Roudeix, le fond est structuré à l'extrême : le partageant naguère en deux plages horizontales, le peintre s'en accorde désormais trois bien distinctes : la partie haute souvent enduite de sable teint ; faite de larges traces appliquées à gros traits de pinceaux ; ne participant jamais du visage ; y créant, au contraire, le paradoxe, car cet aspect volontairement flou contribue à le mettre en relief. La partie «basse» générée par l'effacement progressif des corps, peinte de couleurs sales sur lesquelles Thomas-Roudeix plaque parfois une frise de petits portraits -des variantes du portrait central ? accentuant de ce fait le malaise que provoque toujours chez le spectateur ce qui est «anormal» ! Et puis la zone intermédiaire. Intercalée comme une idée fixe, elle est la plus révélatrice de l'angoisse qu'éprouve l'artiste, de se laisser entraîner vers des vertiges incontrôlés ! Il s'y «rapproche» de la toile ; dessine brin à brin une herbe obsessionnelle accumule tel un coin de marigot tari, une «terre» craquelée de crevasses sinueuses ; ajoute éventuellement des éléments extérieurs (grillages...) ; supprime la profondeur pour ne créer qu'un aplat absolu. De sorte que la démarche de Thomas-Roudeix pourrait se résumer en un voyage aller, partant d'un personnage «existant», peu à peu désintégré pour l'emmener vers la viscéralité usant d'éléments de désordre (zébrures, griffures...), amorçant un long et talentueux travail de déstructuration, d'éclatement, de pétrissement de la matière...

Au moment où sa névrose semble irréversible, il effectue un retour au cours duquel il assène sa rigueur et ses géométries, sa volonté de retrouver la maîtrise de ses imaginations inconscientes... Un curieux jeu d'à qui perd gagne face auquel le spectateur se demande sans arrêt laquelle, de la tête du peintre ou de la toile engendrant ses fantasmes, a chaque fois le dernier mot!

Jeanine RIVAIS (Critique d’Art et artiste)